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La ronde
de Marie-Andrée Gill
Photographe : Vicky Boutin
Quand je me prépare à partir pour La Ronde avec mes enfants je suis malade de brosse parce que c’est inévitable l’été quand tu travailles dans un bar où les gars sont beaux rares avec leur face de loup cervier et qu’ils ont pas de place à coucher et que les filles sont voyageuses pis en vodka quand elles décident que tu seras leur premier french au sirop d’érable tu ramènes ce beau monde chez vous pis le lendemain y’a des enfants qui leur sautent dessus en criant t’es qui tu veux tu jouer avec moi pendant que maman vit sa vie d’adulte avant de se lever les cheveux en nid d’oiseau effiloché avec plein de sable sur son lit de s’être baigné à pas d’heure.
(C’est vrai on s’est baignés)
Quand je me prépare à partir pour La Ronde je me réveille à côté de deux filles toutes nues poilues j’aime ça pis j’aime pas ça c’est niaiseux mais bon moi le poil ça pas de bon sens j’ai cinq heures de route à faire let’s go dans le char les enfants se peuvent plus ils capotent La Ronde La Ronde on va dormir dans un hôtel pis on va pouvoir prendre un ascenseur pis là ça se tiraille déjà à savoir qui va peser sur le piton de l’étage qui mettra la carte dans la fente qui débarrera la porte ça me demande si on va être haut pis si on va voir le stade olympique le smog pis les itinérants on pourra tu leur donner deux piasses ?
(Sont fins)
Dehors le soleil brille de toute son orangeade pis je roule la vitre baissée un deux litres d’eau minérale entre les cuisses pis j’ai oublié de me laver genre qu’on se saucera quelque part en montant dans une rivière qui aura un beau nom.
Je regarde dans le rétroviseur en riant dans ma barbe les flos jouent à celui qui dit la phrase tu pues du cul le plus vite possible
(Maudit YouTube qui les élève croche)
J’arrête dans deux Tim Hortons de route pour pogner un peu d’internet et demander à ma sœur sur messenger si elle a pas deux-trois cents piasses à me virer dans mon compte parce que j’allume que l’allocation du vingt rentre juste demain oui elle dit oui comme d’habitude je dis merci avec une rangée de x et je souris parce que partir sur une ride de char ça me rend toujours pleine de lumière et me donne envie de chanter des tounes de Céline et de la bottine souriante.
(Trop exaltée la fille)
Bon y’en a un qui a mal au cœur ça tombe bien on passe devant la sortie du village de ma tante pis mon oncle ils ont tout le temps un remède vite fait pis une sandwich aux tomates qui attend qu’on lui révèle son destin.
On arrive dans la cour ils sont en train de se faire griller tous les deux sur leurs chaises longues à côté du tracteur sont tellement surpris de nous voir qu’ils ont les larmes aux yeux pis ils veulent nous donner leur chemise pis leur frigidaire tiens prenez des chips au ketchup des crottes de fromage de la liqueur noire une tasse de quik pis toute pis toute sont tellement beaux pis avenants moi aussi j’ai les larmes aux yeux ça me fait ça être lendemain de brosse je deviens full sentimentale pis j’aime presque ça j’me sens proche de l’univers j’ai comme envie de pleumer le ciel pis le manger cru chercher des trèfles à quatre feuilles dans mon cœur ou fendre du bois avec une épée laser.
Je le savais en arrivant qu’on pourrait pas repartir de même fallait que ma tante me fasse sa poésie écoute c’est beau:
«Moi quand j’tais jeune, j’t’ais corbeau. Comme toé Julie.
Les cheveux noir-noir, la peau ben noire. Même si chu blanche dans le fond tout le monde pensait que j’tais une indienne avec mes yeux de chinoise. Ma mère trouvait que j’avais du Tremblay dans le nez pis de la raideur du cheveu du bord des Girard.
J’ai pogné ma face à loterie du Bon Yeu !»
Mon oncle fait un tour de tracteur à gazon aux jumeaux chacun leur tour sur l’arc-en-ciel de l’arrosoir si tu les voyais le sourire large de même c’est parfait.
J’ai une méchante envie de dormir sur la pelouse en repensant au tatouage le plus quétaine du monde connu qu’une des filles avait sur la chute des reins à matin pis ça m’excite un peu quand même mais je rote mes vieux timbits qui passent croches ça fait que je me lève pis je vais me sacrer dans l’crique en bobettes.
Mon oncle ma tante les jumeaux.
Tout le monde rit.
Avec leur face de soleil dans face.
Avec leur face de mois d’août pis de crème soda. Leur face de plénitude.
Je suis heureuse en tabarouette.
Même si j’ai une sangsue sur le pied.
La Ronde c’est icitte.
Marie-Andrée Gill, autrice
Née à Mashteuiatsh en 1986, Marie-Andrée Gill, après une maîtrise en Lettres de l’Université du Québec à Chicoutimi, occupe son temps à écrire, coordonner des résidences d’écriture et animer des balados à ICI Radio-Canada. Professeure invitée à l’Université Laval notamment, elle donne des conférences dans les écoles primaires, secondaires, les cégeps et les universités; elle s’adonne aussi au commissariat et fait partie de nombreux jurys littéraires. Elle a participé à plusieurs projets collectifs et on l’invite dans les évènements littéraires majeurs au Québec comme le Festival international de littérature. Ses quatre recueils de poésie (Béante, Frayer, Chauffer le dehors et Uashtenamu – Allumer quelque chose) parus à La Peuplade ont entre autres obtenu le Prix Poésie du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean en 2013, 2015, 2019 et 2025. Prix de l’artiste de l’année au Saguenay–Lac-Saint-Jean du CALQ en 2020, elle a reçu le Prix Joseph-S.-Stauffer du Conseil des arts du Canada en 2022.
Avec sa nouvelle La Ronde, Marie-Andrée Gill est la première récipiendaire de la catégorie Professionnelle du Prix littéraire Damase-Potvin créée en 2015.
Vicky Boutin, photographe
Vicky Boutin est une photographe passionnée et une journaliste d’expérience. Elle œuvre au sein de l’équipe de Radio-Canada Saguenay–Lac-Saint-Jean depuis 20 ans. Elle capture des images et manie les mots afin de pouvoir témoigner du monde qui l’entoure, qu’il s’agisse de politique, d’art ou de sport. De plus, elle collabore fidèlement à l’équipe du Zoom Photo Festival de Saguenay, le seul festival entièrement consacré au photojournalisme au Canada.
À propos de la photo…
« Cette image colorée d’un manège en marche témoigne de la frénésie et de l’excitation qui règnent lors de fêtes foraines. Les couleurs, les sons et les odeurs semblent plus forts dans cet espace hors du temps qui prend véritablement vie lorsque le soleil tire sa révérence. » Vicky Boutin
Texte de Marie-Andrée Gill – lauréate 2015 de la catégorie Professionnelle du Prix littéraire Damase-Potvin – mis en valeur à l’occasion de l’exposition soulignant le 30e anniversaire du Prix littéraire Damase-Potvin, accompagné d’une photographie illustrant le thème de la 20e édition.
Exposition présentée à la Bibliothèque de Chicoutimi du 8 au 29 octobre 2025, dans le cadre de la programmation de Zoom Photo Festival Saguenay.
Crédits
Auteur·e·s : Marie Christine Bernard, Marjolaine Bouchard, Julie Boulianne, Catherine Ferland, Marie-Andrée Gill, Carl-Keven Korb, Steve Laflamme, Guy Lalancette, Dany Leclair, Charles Sagalane; Photographes : Caroline Bergeron, Vicky Boutin, Guylain Doyle, Sophie Gagnon-Bergeron, Pierre Gill, Nathalie Lavoie, Rocket Lavoie, Jeannot Lévesque, Nicolas Lévesque, Annie Perron, Michel Tremblay; Comité organisateur du concours de nouvelles : Céline Dion, Lorraine Minier et Frédéric Gagnon; Idéation, coordination et gestion du projet : Céline Dion; Révision linguistique : Jean-Pierre Vidal; Conception graphique : Marie-Claude Asselin ; Impression des tableaux : EPS ; Intégration contenu web : NickoLabs internet & marketing ; Production : Écrivain·e·s de la Sagamie et Prix littéraire Damase-Potvin – 2025