Pauline Gagnon - La petite fille qui voulait savoir de quoi la matière est faite (1955 - )
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Par Élisabeth Vonarburg – Illustration Nélanne Racine
Où commencent les histoires ? On veut surtout savoir ce qui se passe après et comment ça finit. Or, parfois, l’important, c’est où ça commence – et pourquoi. Pourquoi, c’est toujours une bonne question à poser. Après, on peut demander : comment ? Mais, au début, il y a presque toujours un pourquoi.
Alors, qu’est-ce qu’il y a, au commencement de mon histoire ?
Il était une fois, il n’y a pas très longtemps, dans une région pas du tout éloignée de la galaxie, une petite fille appelée Pauline Gagnon vivant à Chicoutimi, au bord du Saguenay.
Pauline était curieuse. C’était une petite machine à questions. Et il y en avait une qui surgissait souvent, chaque fois qu’elle se cognait le pied contre une chaise, qu’elle cassait quelque chose ou qu’elle regardait sa mère préparer un gâteau. Toutes ces choses, les dures, les molles, celles qu’on mange ou celles qu’on essaie de recoller, de quoi étaient-elles faites ? Pourquoi se transformaient-elles aussi, parfois, les unes dans les autres ? Et il ne faut pas laisser une casserole d’eau bouillir trop longtemps, parce que ça s’évapore : l’eau devient invisible dans la casserole puis redevient visible en buée sur les fenêtres. Ce n’est pas de la magie. Il se passe de quoi, là. Mais quoi ?
Pauline commença à trouver des réponses quand on lui offrit en cadeau un petit jeu de chimie. Elle comprit que le dur comme le mou étaient constitués d’éléments plus petits, qui eux pouvaient se transformer selon le chaud ou le froid qu’on leur appliquait : par exemple, la neige, c’était de l’eau qui avait eu froid, la glace, de l’eau encore plus frileuse, et l’eau qu’on faisait trop chauffer devenait un gaz, invisible. Tout ça était constitué d’autres éléments encore plus petits, combinés entre eux. Et la patte de la chaise, c’était pareil. Et la tasse par terre, aussi. Si on râpait le bois de la patte de chaise ou si on écrasait la porcelaine à coups de marteau (quand papa n’était pas dans le coin…), ça devenait de plus en plus petit.
Oui, mais alors, de quoi étaient faits ces petits morceaux-là ? Si on continuait, est-ce qu’on arrivait à un morceau qu’on ne pouvait plus couper ni pulvériser ?
Plus tard, à l’école, Pauline pensa avoir trouvé : au fond de tout, il y avait les atomes. Est-ce que c’était ça, le plus petit morceau ? Celui qui ne pouvait plus être coupé, la plus petite brique de matière ? Comme si tout ce qu’on voyait – les arbres, les animaux, les gens, les étoiles – était fait de microscopiques blocs Lego appelés atomes ?
Mais non, et zut, et les questions de Pauline revinrent s’agiter dans sa tête. Parce qu’on lui apprit, un peu plus tard, que les minuscules et invisibles atomes étaient eux-mêmes constitués de briques encore plus petites et invisibles, si c’était possible : des particules. Celles-ci portaient des noms de plus en plus bizarres : les neutrons et les protons. Eux-mêmes contenaient des bidules encore plus petits, avec des noms encore plus bizarres : des quarks collés ensemble par des gluons… Non mais, arrêtez ! Ça n’en finit plus, alors ?
Pauline avait le vertige. Mais ça ne l’empêchait pas de continuer à poser des questions. Elle apprit alors que la chimie n’était qu’une marche dans son escalier de questions et qu’il y avait une autre science, la physique, qui avait peut-être davantage de réponses.
Devenue vraiment grande, elle décida d’en avoir le cœur net. Elle s’inscrivit au cégep, puis à l’université – plusieurs universités. Elle s’en alla même loin de la neige qui fond, en Californie, surtout à cause de sa blonde qui habitait là-bas, pour obtenir un doctorat en physique des particules et devenir une scientifique diplômée. Eh oui, c’était compliqué et difficile. Encore plus difficile parce qu’elle était une fille et que, autour d’elle, on avait l’air de penser que les filles ne pouvaient pas vraiment être de bonnes scientifiques diplômées. Mais elle s’en fichait, Pauline. Elle voulait savoir de quoi la matière était faite, au-delà des atomes, et ça prendrait ce que ça prendrait !
Elle n’était pas la seule. Il y avait plein d’autres scientifiques qui se posaient la même question. Il y avait maintenant un modèle qui décrivait toutes ces particules : les familles des hadrons, des leptons et des bosons, des particules associées aux forces. Mais, pour que tout se tienne, il manquait justement un boson. Certains théoriciens avaient supposé son existence – c’est à cela que servent les équations compliquées. On lui avait même donné un nom : le boson de Higgs, du nom du chercheur qui en avait parlé le premier.
Pour voir si c’était vrai, on décida de construire une énorme machine, avec un nom aussi impressionnant que sa taille : le grand collisionneur de hadrons. C’est drôle, hein, que, pour voir l’infiniment petit, il faille quelque chose d’énorme ! Mais c’est comme ça : plus c’est petit, plus le microscope doit être gros. Ce serait à cent mètres sous terre, un immense anneau de près de 30 km de long et d’énormes détecteurs. Et dans cet anneau, des protons circuleraient à presque la vitesse de la lumière dans les deux directions pour produire des collisions hypersuperméga-énergétiques, d’où sortiraient toutes sortes d’autres particules – et peut-être les mystérieux bosons de Higgs.
Pauline décida d’aider à construire le plus gros des détecteurs pour cette énorme machine. Et alors, là, vous voulez sûrement que la machine lui donne la réponse tout de suite, à Pauline. Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe. Déjà, construire cette machine prit plus de dix ans. Et puis, la recherche en sciences, c’est long ! a implique plein de gens travaillant tous ensemble, on se trompe, on revient en arrière, on recommence…
Ainsi, Pauline passa près de vingt années de sa vie à travailler pour obtenir sa réponse. Mais rassurez-vous, elle la reçut, en 2012 ! Oui, le boson de Higgs existait, et on avait enfin réussi à traquer toutes les particules de la matière ! Pauline et les milliers d’autres chercheuses et chercheurs travaillant comme elle sortirent le champagne pour célébrer cette découverte.
Mais ce n’était pas la fin. Car lorsqu’on interroge ce qui existe, comme Pauline, on trouve toujours de nouvelles questions. Le boson de Higgs complétait ce qui existe de la matière visible. Et ça, c’est seulement 5 % du contenu de l’Univers !
Tenez-vous bien, ça se complique encore ! Il y a de la matière invisible. On la dit sombre, car elle n’émet pas de lumière. Elle forme 27 % de l’Univers. Et les 68 % qui restent ? Un type d’énergie inconnue appelé énergie sombre.
Et alors, c’est quoi, cette énergie sombre ? Personne ne le sait encore. Aujourd’hui, Pauline a pris sa retraite. Mais vous, vous serez peut-être parmi celles et ceux qui trouveront la réponse à cette nouvelle question : la matière sombre, de quoi est-elle faite, la matière sombre ?