Pierrette Gaudreault - Madame des arts (1922-2007)
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Par Sophie Torris – Illustration Joëlle Gobeil
Quel est ton moyen d’expression préféré? Le dessin, la chanson, le ballet?
Avec quoi révèles-tu qui tu es? Le pinceau, les pointes ou l’archet?
L’art ne constitue pas un privilège. Il est à la portée de tout le monde.
Dis-moi quel est ton solfège, en quelle langue veux-tu qu’on te réponde?
Avec les notes ou avec le corps, avec la couleur ou avec les mots?
Aider les talents à éclore, telle était la mission de Pierrette Gaudreault.
Découvrons ensemble l’histoire de cette bonne fée marraine
Afin de garder en mémoire cette incroyable mécène.
Pierrette voit le jour à Saint-Prime, un petit village du Lac-Saint-Jean.
Lamontagne est son patronyme, le nom de son papa qu’elle perd à six ans.
Devenue orpheline, elle va vivre à Chicoutimi chez son oncle Gérard.
Lui qui est à l’origine de son amour infini pour les arts.
Il est journaliste au Progrès du Saguenay, où l’on trouve à l’étage une librairie.
Puisque, les livres, il faut bien les déballer, Pierrette relève le défi.
Elle tombe amoureuse des mots en lisant tout ce qui est de son âge,
Fait le tour de tout ce qui est beau en parcourant mille et une pages.
Au Collège du Bon Pasteur, elle gagne le concours de composition
Et remporte les honneurs réservés d’habitude aux garçons.
Elle chante aussi à la grand-messe avec le chœur de la cathédrale.
Dans le jubé, la musique est ivresse; elle croit toucher les étoiles.
De cette expérience fantastique naît sa mission sur terre :
L’art pour tous est bénéfique – et pas seulement pour se distraire.
Lorenzo, qui a tout pour lui plaire, lui passe la bague au doigt.
Plus qu’un bon père, il constitue un compagnon de choix.
C’est dans la ville de Jonquière, au 288, rue Saint-François
Que Pierrette, la pionnière, se réalisa.
Ballet, diction, musique; elle forme ses cinq enfants
Aux pratiques artistiques qui l’ont elle-même séduite.
Cherchant à passer le relai alors qu’ils sont devenus grands
Pierrette est étonnée : personne pour prendre sa suite!
Il n’y a pas d’enseignants sur place, ni lieu de culture pour la jeunesse.
Jonquière se révèle une impasse pour tous ceux que les arts intéressent.
Voulant faire quelque chose pour eux, quitte à passer pour une originale
Puisqu’inconnue du milieu, elle démarre le bal.
« S’il n’y a pas d’école, on va la créer! »
Pierrette prend la parole devant toute une assemblée.
Première conférence de presse au milieu des casseroles.
Elle y fait la promesse de tenir la boussole
Et offre son adresse pour que le projet décolle.
« Il faut développer autour de la culture un esprit régional! »
Elle est prête pour cette aventure et à se battre pour son idéal.
Lorenzo à ses côtés, tout en se tenant dans l’ombre,
lui offre la liberté de pouvoir refaire le monde.
Le jour de la Sainte-Cécile, patronne des musiciens, elle ouvre son mini-conservatoire
Accueillant à domicile et dans tous les recoins de futurs espoirs.
Elle obtient l’appui d’artistes connus dont la réputation n’est plus à faire.
Alors, les élèves affluent et, entre le poêle et le frigidaire,
Virevoltent les tutus, cohabitent les imaginaires.
De toutes ses recrues, Pierrette devient mère nourricière.
Il n’est pas un p’tit cul qui n’ait gouté à sa tourtière.
On la surnomme maintenant Madame des arts.
Elle règne élégamment sur ce joli tintamarre!
Toute dévouée à sa cause, sans jamais aucun salaire
À l’écoute de ses petits virtuoses, elle devient populaire.
Quatre-cents élèves par semaine dès la première année.
Art dramatique, musique, peinture, ballet : toutes les disciplines sont incarnées.
Pierrette sème des graines, les arrose et les regarde pousser.
Le salon double est devenu studio de musique; les chambres, théâtres.
Les enfants Gaudreault attendent la fin des pratiques, s’endormant au coin de l’âtre.
Capable de rassembler toutes les bonnes volontés,
Pierrette n’est pas de celles que l’on peut arrêter.
« Pour leur offrir une visibilité méritée, ne faudrait-il pas ajouter aux cours
Des expositions, des concerts réguliers? » C’est ainsi que Mai artistique voit le jour,
Célébrant l’art chaque année et mettant en lumière tous les parcours.
L’Institut des beaux-arts a le vent dans les voiles.
Phénomène rare : on en parle jusqu’à Montréal!
La maison devient trop petite pour cet institut si populaire.
Il faut penser à la suite et changer de propriétaire.
Qui accueillera cette élite? La commission scolaire.
Les religieuses, assez vite, annoncent que ça ne fait pas leur affaire.
La musique constitue leur chasse gardée et la danse, ce n’est pas moral!
C’est le début des hostilités – on en jase jusqu’à la cathédrale!
Mais Pierrette s’en moque, car elle a plus d’un tour dans son sac.
Cette femme est un roc. Pour parer toutes les attaques,
Le même stratagème : une délicieuse naïveté.
« Il n’y a pas de problème, ça va s’arranger! »
Parce que jamais elle ne se dérobe, on lui offre enfin le lieu parfait.
L’institut obtient le mont Jacob et installe les arts à son sommet.
Tout cela se passe avant la Révolution tranquille.
Alors que, généralement, il y a peu de place pour l’émancipation des filles.
Pierrette, la pionnière, fait enfin entendre la voix des femmes.
Elle est une des premières à déplacer les montagnes.
À l’aube de ses 50 ans, fière du travail accompli,
Elle quitte tout doucement son projet qui a tant grandi.
Derrière elle, toute une tribu
À qui elle a donné des ailes et qui continue.
Si tu passes par Jonquière, viens saluer sa statue.
Ce buste légendaire te souhaitera la bienvenue
De façon hospitalière, à l’image même de ce que la dame fut.
Femme culture, le cœur tendu vers les générations futures.
Femme terroir, l’envie de promouvoir l’art sur son territoire.
Femme volonté, la main levée pour une relève artistique de qualité.
Femme passion, la salle de spectacle du Mont porte aujourd’hui son nom.