Christine Cossette - La (si)reine du Piékouagami (1961 - )
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Par Danielle Boulianne – Illustration France Morin
Chaque grand lac a sa légende ou son monstre marin. Le Piékouagami ne fait pas exception. Sa légende, encore jeune, est taillée dans le vouloir et le caractère de sa reine, sa sirène.
Originaire de Saguenay, Christine Cossette, fille de nageur, a grandi dans le milieu de la natation, au fil des compétitions auxquelles son père participait. Il était normal pour elle, dès ses 9 ans, de se tourner vers ce sport dans lequel elle baignait depuis toujours et, qui plus est, l’intéressait. Elle entendait déjà le chant des vagues.
C’est en piscine qu’elle a fait ses débuts. Douée, endurante et dédiée à son sport, elle accumulait les compétitions, obtenant de bons résultats dont elle était fière, mais dont, rapidement, elle ne savait se satisfaire. D’une épreuve à l’autre, les distances augmentaient. Au-delà du défi sportif, c’est contre elle que Christine compétitionnait, s’imposant des buts personnels : obtenir de meilleurs temps, s’améliorer, progresser.
Un jour, les couloirs de piscine ne furent plus suffisants pour assouvir son besoin de distance. Christine rêvait de plus grand. Elle avait déjà goûté à la nage en eau libre, s’étant entre autres entraînée dans le fjord du Saguenay.
Au début, elle n’était pas à l’aise de nager dans les eaux sombres, sans aucun couloir pour lui tenir lieu de repère. Or, rapidement, elle s’est mise à préférer la nage en lac. Les eaux profondes, les courants, les poissons ne lui faisaient plus peur. Cela lui donnait plutôt un sentiment de liberté et de bien-être.
Elle a ensuite participé à quelques marathons, puis a pris une pause aux alentours de 15 ans. Vouée à une discipline de fer depuis plusieurs années, l’adolescente rêvait alors d’une vie différente.
Pourtant, un jour, en entendant son père Robert discuter avec un ami, l’idée lui est venue de traverser le lac Saint-Jean. « J’aimerais ça faire ça, moi! » déclara-t-elle.
Il n’en fallait pas plus pour se remettre à l’entraînement. En plus d’être une bonne nageuse, Christine avait une endurance presque sans limite. De plus, elle résistait à l’eau libre comme personne, ne ressentant presque pas le froid. On l’aurait dit taillée pour les lacs et les rivières qui l’avaient vue grandir. C’est d’ailleurs dans une eau avoisinant les 15 à 18 degrés Celsius qu’elle se sentait le plus à l’aise. Son choix était fait : elle allait répondre à l’appel du large.
C’est en 1978 que Christine a affronté pour la première fois le lac Saint-Jean, le majestueux et imposant Piékouagami. Au prix de plusieurs efforts, mais surtout convaincue qu’elle pourrait le faire en moins de neuf heures, elle s’est acharnée à l’entraînement. « Si tu n’y crois pas, ça ne donne rien de l’essayer. Tu cours à l’échec », se répétait-elle inlassablement. Ainsi, à toutes les personnes qui, avant sa traversée, lui disaient : « Tu essaies le lac? », elle répondait : « Je n’essaie pas le lac. Je fais le lac! »
Elle raconte : « Une traversée, c’est un coup de bras à la fois. C’est un long moment au cours duquel on est seul avec soi-même. L’ennemi, ce n’est pas le plan d’eau. Ce n’est pas lui que tu veux battre. C’est contre toi que tu luttes. Il faut être capable de se donner des objectifs plus ardus à atteindre. Le résultat importe peu, pendant la traversée. Il faut regarder le processus et se répéter que chaque coup de bras nous rapproche du but. Il faut croire en notre objectif, en notre rêve. »
C’est ce qu’a fait Christine du haut de ses 16 ans. Elle a vaincu le lac Saint-Jean en 8 heures 51 minutes et 10 secondes, écrasant les précédents records. Elle est devenue par la même occasion la première Québécoise à gagner la Traversée internationale du lac Saint-Jean; fierté d’autant plus grande qu’elle l’a fait chez elle, dans sa région, devant ses partisans.
En plus de marquer l’imaginaire, l’exploit de Christine est important, car il a pavé la voie à d’autres nageuses et inspiré plusieurs jeunes femmes de la région à se dépasser. Christine a prouvé, par sa ténacité, qu’il est possible pour une athlète régionale de traverser le lac, de battre les records et de performer à l’international.
Ce jour-là, elle est devenue la reine du Piékouagami. À tous les journalistes qui la martelaient de questions, elle répondait : « C’est une journée comme les autres. Il n’y a rien d’exceptionnel dans tout ça. »
Christine a continué à accumuler les milles aquatiques dans divers plans d’eau ici et ailleurs avant d’avoir, une fois de plus, une idée hors du commun. « Cette fois, pourquoi ne pas traverser le Piékouagami aller-retour? » Sans même l’imaginer, elle allait de nouveau marquer l’histoire de son sport.
C’est en 1984, à 22 ans, que l’athlète saguenéenne s’est apprêtée à réaliser son exploit. Elle vous le dira : « Quand on se fixe un objectif, il faut y croire. Il faut travailler dans ce sens-là. Surtout, il ne faut pas se décourager. »
Pendant une traversée, il est illusoire de penser que tout va rouler comme sur des roulettes. Il y a des creux, et pas seulement des vagues. Il faut traverser les moments difficiles pour en ressortir plus fort, car le Piékouagami n’est pas toujours gentil. Il a ses humeurs, même pour la jeune sirène qui le brave depuis longtemps. « Il faut s’entêter, persévérer, combattre non seulement la nature, mais soi-même », affirme-t-elle.
Christine raconte, des étoiles encore dans les yeux : « La date était fixée. J’étais impatiente. Dans les jours précédents, la météo n’était pas clémente. Il ventait et ça formait de gros moutons sur le lac. Le jour même, incapable de dormir tant je me concentrais sur mon objectif, je suis sortie prendre l’air. Le vent était tellement fort que je suis retournée me cacher sous mes couvertures pour oublier ce dans quoi je m’étais embarquée. »
La nageuse s’est présentée le 28 juillet au quai de Roberval aux alentours de 22 h. « Comme par magie, les vents s’étaient calmés – et moi aussi. Le lac avait des airs de mer d’huile. Je ne saurais dire pourquoi, mais la nuit était spéciale. J’ai entrepris mon périple. Des aurores boréales dansaient dans le ciel, et moi dans l’eau. Ma chorégraphie, contrairement à la leur, était réglée au quart de tour. Je ne faisais qu’une avec la nature. Je communiquais avec les éléments. »
Cette communion a porté fruit puisque, 64 kilomètres et 18 heures 27 minutes et 10 secondes plus tard, la jeune femme se présentait à l’arrivée devant des milliers de personnes ébahies par son exploit. Plus étonnant encore, elle a obtenu son temps le plus rapide au retour.
Avec le recul, Christine peine à imaginer qu’elle a réalisé tout ceci. La jeune femme qu’elle était avait besoin de se prouver quelque chose, de se dépasser. De se surpasser. « Chaque athlète a besoin, quel que soit son sport, d’aller plus loin, plus vite, plus haut. Il cherche de nouveaux défis. Son plus grand ennemi reste lui-même. Jusqu’au jour où il ne ressent plus ce besoin de faire mieux. Alors, ses priorités changent… » termine-t-elle, pensive.
C’est au tournant de 1990 que Christine a délaissé la natation et la compétition, car ses priorités ont changé elles aussi. Elle entreprenait sa nouvelle vie de mère, d’enseignante d’anglais puis, tout récemment, de grand-mère. Elle vit près de la nature, toujours à Saguenay.
Avec le recul, Christine est heureuse de constater que la petite fille de la région, celle qui avait un rêve, est passée à l’action pour le réaliser. Pour y arriver, elle a travaillé dur parce que rien ne vient jamais pour rien. Elle a été persévérante, constante. « C’est facile de rêver, mais c’est plus difficile de concrétiser son désir, de ne pas abandonner! Il faut travailler pour réaliser ses rêves. Ça évite d’avoir des regrets. » Et des regrets, elle n’en a pas!
Encouragée par sa famille et par toute une région, Christine Cossette a su charmer ses admirateurs par ses exploits. Sa légende dépasse les berges de notre majestueux lac et est gravée dans notre imaginaire. Il devra couler beaucoup d’eau dans nos rivières et lacs pour laver nos mémoires de ses prouesses aquatiques.