2025, c’est le 30e anniversaire du Prix littéraire Damase-Potvin. Un concours de nouvelles qui a évolué au fil des ans et qui continue de stimuler la création des auteur·e·s de 17 à 97 ans dans trois catégories distinctes autour de trois contraintes spécifiques: respect du genre, du format (entre 750 et 1000 mots) et d’un thème annuel.
Pour l’occasion, grâce à un soutien financier de la Fondation TIMI reçu en 2024, nous publions dans cet espace numérique les nouvelles des auteur·e·s qui ont remporté le premier prix des éditions de 1994 à 2003, accompagnées chacune d’une photographie d’un artiste de la relève pour illustrer, en 2025, le thème de l’édition.
Un merci particulier à Valérie Lavoie du Cégep de Jonquière, Cindy Dumais et Bruno Marceau du Cégep de Chicoutimi, Annie Perron de l’Université du Québec à Chicoutimi ainsi qu’à Jasmine Cormier-Bezeau de La Corporation les Adolescents et la Vie de quartier de Chicoutimi (AVQC) pour leur précieuse collaboration.
Merci à nos fidèles partenaires et longue vie au Prix littéraire Damase-Potvin !
Bonne lecture!
Photographie: Pol Pulido, alors étudiant au Cégep de Chicoutimi en 2024.
1998 – (Bibliothèque)
La présidence d’honneur de cette 4e édition était assumée par l’écrivain Yvon Paré.
1er prix : Claude Trudel
Vide
Vide! Déjà! Je regarde cette bouteille brune, petite merveille de brume, mais pourtant je ne ressens qu’un léger étourdissement. Debout, je m’efforce de m’étourdir pour me sentir éméché. Dans la cuisine, j’ouvre mon frigo, j’esquive une puanteur d’usine d’épuration et j’empoigne ma dernière bouteille de bière. Un moment de panique, je ne suis pas encore assez ivre pour avoir le goût de vivre. J’accours au salon, sonde la tablette de ma bibliothèque, laissant mes doigts parcourir furtivement des millions de mots écrits sur la chair des arbres, dans l’espoir de retrouver un peu de mari, rien à faire, j’y suis déjà passé. Mes yeux se posent sur ma pipe de céramique gisant sur une œuvre de Racine. Mais oui, bien sûr! La résine! À l’aide d’un tournevis, je puise la matière noire pour combler mon vice. Une, deux, trois grosses boules noires que j’enfonce dans l’orifice de ma pipe. Mon allumette s’enflamme, ma propre flamme olympique, et la course débute. Je respire la fumée rapidement avant qu’elle ne puisse s’échapper de mes poumons. Gorgée de bière, puff de résine, un vrai décathlon. Enfin le monde s’effondre, et voilà que recommence ma ronde.
Vide. Telle est la destinée de ma vie. L’ennui envahit mes nuits sombres, mes journées défilent dans un tourment. Jour après jour, nuit après nuit, je déglutis mon ennui, avant de le dégobiller en solitude. Et quand cette solitude devient trop lourde, quand elle ravage mon visage, je sors et déambule dans la ville, cloîtré dans ma bulle desséchée, à la recherche d’un mécène obscène, qui verra en moi un auteur à la hauteur de ses attentes. Mais en vain! Alors, j’achète mon vin et un baggie de mari à la taverne du coin. Revenu chez moi, je m’évertue à inonder ma désolation dans le liquide vermillon. Un arrière-goût de colle blanche envahit mes papilles, conséquence d’un vin de pacotille fermenté dans un ignoble vignoble. Assis dans mon fauteuil, je bourre ma pipe de feuilles enchantées, ces mêmes feuilles que les Amérindiens cultivaient dans un but plus noble. Perdu dans cette brume, je hume la névralgie infernale qui engloutit ma vie.
Vide. Mon âme se lamente du froid laissé par l’absence de foi. Je regarde vers le ciel, mais je ne vois que l’irréel; le message du Messie insuffle un souffle de tromperie, et la parole en parabole a mal traversé les années. La vérité, fantasme de l’illuminé, n’a jamais existé.
Vide. Au fond de mon cerveau, du capital en trop. Des idées de folie, impulsives et sans direction. Affolé d’être égaré, je cherche l’âme sœur dans toute sa splendeur pour attendrir ma vie.
Vide. Cette vie sans lendemain, pleine de chagrin, houleuse, douteuse, avide, perfide. Vie qui oublie le bonheur, s’engloutit dans le malheur; peur de ne jamais être aimé, prisé, idolâtré par l’amour de ma vie. Amour sans discrimination. Amour épique, amour ironique, amour énigmatique, amour intemporel.
Vide. Mon cœur beugle sa confusion, je suis aveugle devant l’amour qui pourrait me satisfaire un jour. Vide. J’ai besoin de caresses, de tendresse, d’une toute nouvelle ivresse. Vide. Je rêve de passion, de perpétuelles évasions, de conversations rituelles qui rempliront cette vacuité. Vide. La déliquescence m’invite à la délinquance. Le Vide envahit ma vie. Le Vide est avide de vivre!
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Historique
Créé en 1994, le Prix littéraire Damase-Potvin, alors exclusivement baieriverain, est associé au Café jeunesse de La Baie jusqu’à sa fermeture. En 1997, sous l’impulsion de l’auteur André Girard et de madame Carolle Lapointe, le concours de nouvelles s’ouvre aux auteur·e·s de toute la région et, en 2003, la catégorie Jeunesse vient s’ajouter à la catégorie Adulte. La catégorie Professionnelle est mise en place en 2005 avec la collaboration du Conseil des arts de Saguenay et du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. En 2017, l’Association Écrivain·e·s de la Sagamie en assure la coordination et, depuis 2022, la gestion complète.