2025, c’est le 30e anniversaire du Prix littéraire Damase-Potvin. Un concours de nouvelles qui a évolué au fil des ans et qui continue de stimuler la création des auteur·e·s de 17 à 97 ans dans trois catégories distinctes autour de trois contraintes spécifiques: respect du genre, du format (entre 750 et 1000 mots) et d’un thème annuel.
Pour l’occasion, grâce à un soutien financier de la Fondation TIMI reçu en 2024, nous publions dans cet espace numérique les nouvelles des auteur·e·s qui ont remporté le premier prix des éditions de 1994 à 2003, accompagnées chacune d’une photographie d’un artiste de la relève pour illustrer, en 2025, le thème de l’édition.
Un merci particulier à Valérie Lavoie du Cégep de Jonquière, Cindy Dumais et Bruno Marceau du Cégep de Chicoutimi, Annie Perron de l’Université du Québec à Chicoutimi ainsi qu’à Jasmine Cormier-Bezeau de La Corporation les Adolescents et la Vie de quartier de Chicoutimi (AVQC) pour leur précieuse collaboration.
Merci à nos fidèles partenaires et longue vie au Prix littéraire Damase-Potvin !
Bonne lecture!
Photographie: Pol Pulido, alors étudiant au Cégep de Chicoutimi en 2024.
1999 – (Suspense dans mon quartier)
La présidence d’honneur de cette 6e édition était assumée par l’écrivain Jean-Alain Tremblay.
2e prix : Steve Laflamme
(le 1er prix n’avait pas été attribué cette année-là)
Ashuapmushuan
Extraits des archives municipales de Saint-Félicien (mises à jour le 21 mai 1997)
Article numéro 233 : Premier extrait du journal de bord de Nicol Théberge, policier de Saint-Félicien (rédigé le 15/07/94).
Voici ce qui j’ai vu. Samedi dernier [i.e. le 12 juillet 1994], le jeune Quentin Roberge, de la rue Bellevue Sud, a été trouvé mort par son père sur la rive nord de l’Ashuapmushuan. En raison de la canicule qui sévit depuis le début de l’été, la marée s’avère plutôt timide et les enfants aiment se promener pieds nus au bord de l’eau. Pour voir si la rivière parviendra à leur toucher les orteils. L’enfant affichait à peine deux ou trois blessures superficielles au visage, mais une large plaie lui ouvrait la gorge. L’évidence des faits me porte à croire à un assassinat. Il s’agit peut-être d’un chien errant que la victime aura effrayé. Il faudra vérifier les empreintes dentaires. J’enverrai dès que possible un plongeur sonder l’Ashuapmushuan. Il émane de cet incident une tristesse si crue que l’on ne peut prendre à la légère.
Article numéro 234 : Premier témoignage de Sébastien Bergeron, plongeur (enregistré le 17/07/94).
Je sais pas ce qu’on veut me faire trouver dans la Chamnoutchouann [sic], mais j’aime pas ça. D’abord, la marée est basse comme c’est pas normal. Le plus creux, c’est une dizaine de pieds. Même en période de clavicule [sic], me semble que c’est exagéré. Bien sûr que j’ai plongé, mais j’ai rien vu. J’ai dit aux policiers que, d’après moi, le petit Roberge s’avait [sic] sûrement pas fait attaquer par un brochet.
Article numéro 235 : Premier témoignage écrit de monsieur Richard Cartier, propriétaire de terrains et résident de la rue Bellevue Sud (déposé le 17/07/94).
Quand j’ai pris connaissance de l’agglutination de la plèbe du quartier sudbelleviste [sic], j’ai décidé d’aller offrir ma contribution au sergent Théberge. Je détiens la totalité des terrains attenants à l’Ashuapmushuan sur Bellevue Sud. J’ai par conséquent donné le feu vert aux autorités : qu’ils mettent tout en œuvre pour trouver la bête qui a tué ce garçon – car il s’agit bien, à mon humble avis, d’une bête ; d’un fauve plus coriace que le diable lui-même. Je crois, pour ma part, qu’il faudrait investiguer du côté du barrage de l’Ashuapmushan, que l’on doit à notre soucieux et bienfaisant Conseil municipal [sic]. La marée qui fluctue inopinément, la température qui crescende [sic] quotidiennement… Il y a matière à engendrer de sérieux avatars génétiques chez certaines espèces. Les caprices climatiques avilissent mes propriétés et grugent ma fortune. Si mon aide peut s’avérer de quelque utilité…
Article numéro 239 : Second extrait du journal de bord de Nicol Théberge, policier chargé de l’enquête dans l’affaire Quentin Roberge (rédigé le 18/07/94).
Monsieur Cartier nous a autorisés à fouler ses terrains selon nos besoins. Les officiers du poste sont donc convoqués demain [i.e. le 19 juillet 1994] à un ratissage complet des deux rives de l’Ashuapmushuan. Un deuxième corps a été trouvé hier [i.e. le 17 juillet 1994] à quelques dizaines de pieds de la marina. Comme c’était le cas pour le premier corps, il nous est impossible d’identifier les empreintes dentaires. Je me rendrai au Jardin zoologique en fin de journée. Peut-être un fauve s’est-il égaré.
Article numéro 241 : Second témoignage de Sébastien Bergeron, plongeur (enregistré le 18/07/94).
J’aime bien gros [sic] mon travail, mais pas au point de sacrifier ma vie. J’ai demandé à Théberge [sic] de me trouver des partenaires de plongée. Je suis pas fou [sic] : je sais que tout le monde vit dans la peur et moi itou [sic]. J’ai une femme et des enfants. J’ai pas [sic] l’intention de replonger tout seul, que ce soit le jour ou la nuit.
Article numéro 242 : Second témoignage écrit de Richard Cartier (déposé le 19/07/94).
Le sergent Théberge m’a avisé de son intention de procéder à un ratissage aujourd’hui. La Police pourra déployer autant d’effectifs qu’elle désire. Je trouve toutefois déplorable que personne n’ait enquêté au sujet du harnachement de l’Ashuapmushuan. La plèbe félicinoise n’a aucune idée des magouilles qui se trament en coulisse au Conseil municipal [sic]. D’ici quelques semaines, je perdrai tout. Des locataires m’ont déjà prévenu de leur désir d’invalider leur bail. Voilà pourquoi j’ai offert au sergent Théberge de plonger avec monsieur Bergeron (son prénom m’échappe). Je l’accompagnerai, si la Police lui refuse le réconfort qu’il requiert.
Article numéro 246 : Troisième extrait du journal de bord de Nicol Théberge (rédigé le 20/07/94).
Je m’enlise. La direction du Zoo m’a assuré, aujourd’hui même, que tous les animaux ont été inventoriés. Il n’en manque aucun. Pour ce qui est du ratissage, un gros zéro. Non seulement on n’a pas vu d’animal, mais on a aussi trouvé une troisième victime, un vieillard. Il est impossible qu’un fauve se cache aussi aisément sur les berges de l’Ashuapmushuan. La forêt la plus près foisonne à des kilomètres…
Article numéro 251 : Troisième témoignage écrit de Richard Cartier (déposé le 25/07/94).
J’ai su que la Police a découvert un troisième macchabée. C’est triste. Hier, j’ai visité tous mes terrains. Il suffit de s’aventurer à pied sur le gazon jauni pour qu’il se détache et migre avec le vent. Aujourd’hui, j’ai reçu la visite de S… Sé… oui. Sébastien Bergeron, le plongeur. Je lui ai affirmé qu’il allait me faire plaisir de l’accompagner dans l’eau. Ma condition physique de quinquagénaire vous étonnerait. Nous avons donc plongé. Plus rien à perdre. La rivière était une étendue d’huile majestueuse. Il y avait à peine dix minutes que l’on nageait lorsque je l’ai interpellé : « Vous n’avez pas les empreintes dentaires, n’est-ce pas? C’est parce que les dents se rétractent après les agressions. » Bergeron m’a dévisagé bêtement, et c’est à ce moment précis que j’ai ouvert la gueule et dévoré ma proie. Totalement, celle-là.
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Historique
Créé en 1994, le Prix littéraire Damase-Potvin, alors exclusivement baieriverain, est associé au Café jeunesse de La Baie jusqu’à sa fermeture. En 1997, sous l’impulsion de l’auteur André Girard et de madame Carolle Lapointe, le concours de nouvelles s’ouvre aux auteur·e·s de toute la région et, en 2003, la catégorie Jeunesse vient s’ajouter à la catégorie Adulte. La catégorie Professionnelle est mise en place en 2005 avec la collaboration du Conseil des arts de Saguenay et du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. En 2017, l’Association Écrivain·e·s de la Sagamie en assure la coordination et, depuis 2022, la gestion complète.
