L’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES) célèbre cette année ses 25 ans d’existence.
Pour l’occasion, les écrivains de la première heure et ceux qui ont été très impliqués dans l’organisation des activités au fil des ans pourront profiter de la tribune qui leur est offerte ici pour raconter un fragment d’histoire de l’association, tel qu’ils l’ont vécu, de sa naissance à aujourd’hui. Ainsi, chaque 25 du mois, sera publié un texte qui, peu à peu comme un tissage, dessinera les points saillants de cette association d’auteurs du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui fait dorénavant partie du paysage. Le premier texte de la série est signé Gérard Pourcel, l’un des cofondateurs de l’APES. Bonne lecture!
La gestation de l’APES
Je suis à présent un septuagénaire, à la retraite, blanchi, à la barbe soigneusement entretenue, un peu enrobé, tenant des propos maintenant très mesurés, mais toujours habité de profondes convictions.
À l’époque, en 1984, j’étais ex-soixante-huitard, ex-enseignant, chômeur, aux cheveux longs, à la barbe clairsemée et hirsute, multipliant les emplois temporaires, dont celui de chroniqueur de livres pour différents médias. Louis Reid, PDG du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, m’avait embauché, à un salaire de misère — il ne pouvait m’offrir plus —, à titre d’animateur culturel. Savait-il, qu’en tant que chroniqueur télé, j’avais décroché mon micro au milieu d’une entrevue avec un écrivain, ex-taulard, illuminé et envoyé de Dieu, que je jugeais raciste et qui l’était, pour le laisser seul sur le plateau vociférant devant la caméra : Reviens ! Reviens !? Je ne le crois pas, même si la cassette VHS avait fait le tour des télés communautaires du Québec. C’était déjà fort audacieux de la part d’un commissaire respecté de la Commission scolaire de La Jonquière d’embaucher la « bibitte à poil » que j’étais.
Cet emploi, tout en conservant mes chroniques de livres, me permit d’affiner mes connaissances des écrivains du Saguenay–Lac-Saint-Jean : Yvon Paré qui en était à sa quatrième publication, La Mort d’Alexandre (1982); Alain Gagnon qui, lui, lançait son dixième livre, Le Gardien des glaces (1984); Élisabeth Vonarburg avait publié coup sur coup L’Œil de la nuit, en 1980, Le Silence de la cité en 1981 et Janus, en 1984… et tant d’autres jeunes écrivains émergeant de la terre fertile du Saguenay–Lac-Saint-Jean. C’était aussi l’époque de la naissance des Éditions Sagamie Québec, avec Jocelyn Pagé, son bouillant directeur arborant une tignasse afro à la Angela Davis. Il venait d’y faire paraître Le Ciel est renversé noir comme s’il recevait un baiser (1986).
Si les Éditions JCL étaient bien représentées au Salon du livre, toute cette nouvelle génération y brillait par sa quasi-absence. Je suis vite allé chercher les collaborations d’Yvon Paré et d’Alain Gagnon, mes deux futurs cofondateurs de l’APES, afin de m’épauler dans ma tâche d’animateur culturel et plus tard dans celle de directeur. D’autres m’ont généreusement assisté en se greffant au Salon par la suite : Élisabeth Vonarburg, Danielle Dubé…
La place, au Salon, était prise et jalousement gardée par une association vieillissante d’écrivains, dont nous décriions sans vergogne les publications majoritairement à compte d’auteur, lors de soirées très arrosées. Cette association me décerna tout de même un prix pour ma première nouvelle littéraire. Ça s’appelle mordre la main qui nous nourrit.
Quoiqu’Yvon Paré prétende que c’est moi qui ai eu l’idée de fonder une nouvelle association, je n’en suis pas certain. Une idée germe rarement spontanément, toute seule, en un seul jardin. Si je me souviens bien, il y eut pour moi quelques éléments déclencheurs. L’hommage que le Salon du livre rendit à Danielle Dubé, lors de son Prix Robert Cliche pour Les Olives noires (1984), événement ponctuel, transformé depuis en tradition annuelle, fut le premier. Une controverse entre Nicole Houde et moi, quant à la place que je lui avais réservée, lors de la parution de La Malentendue (1983) ou de l’Enfant de la batture (1988), fut un autre catalyseur. Nicole est devenue une très grande amie, dont je ne me console pas de la récente disparition. Bien entendu, on ne peut omettre le rôle de nos rencontres avinées ou houblonnées entre amis et administrateurs du Salon du livre et, en particulier, une en après-midi, où Alain Gagnon et moi avions fréquenté un bar, dont les artistes féminines sur scène n’étaient pas inscrites à l’UDA. Alain honorait toujours la facture des alcools. J’étais trop fauché. Entre deux prestations chorégraphiques de ces dames, nous avions peaufiné pour une énième fois la mise sur pied d’une association d’écrivains professionnels ne publiant pas à compte d’auteur, laquelle association ne demanderait jamais une « maudite » subvention.
Quelques mois plus tard, voire un an, je rentrais au ministère des Affaires culturelles, à Chicoutimi, comme agent occasionnel analysant les demandes de subventions des organismes en arts et lettres. Je me retirai du groupe fondateur, pour éviter tout conflit d’intérêts. Et, c’est en 1992-1993 que j’ai vu, avec beaucoup d’émotion, atterrir sur mon bureau de fonctionnaire la version revue et corrigée des statuts et règlements de l’APES.
Gérard Pourcel