Dimanche 1er octobre 2017 — 15 h en collaboration avec le Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, quatre écrivaines membres de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES) ont rendu un Hommage aux écrivaines emprisonnées.
Ainsi, les auteures québécoises Danielle Dubé, Christiane Laforge, Laurance Ouellet Tremblay et Sophie Torris se sont adressées respectivement à Asli Erdogan (Turquie), Golrokh Ebrahimi Iraee (Iran), Liu Xia (Chine) et Shamael Al-Nur (Soudan).
Dans un mouvement de solidarité, un appel à leur libération a donc été lancé.
Cette activité a été initiée par le Comité Femmes du Centre québécois du P.E.N. international en partenariat avec l’UNEQ et Amnistie internationale Canada.
Afin de poursuivre la démarche de sensibilisation, il nous semblait opportun de publier sur le site Littérature de la Sagamie le texte de chaque écrivaine qui s’adresse à une autre — emprisonnée ou en attente de procès —, comme pour faire entendre l’écho de la liberté à tout jamais. Voici la lettre de Christiane Laforge:
Lettre de Christiane Laforge à Golrockh Ebrahimi Iraee
Bonjour. Je suis Christiane Laforge. Auteure de plusieurs livres et journaliste de profession, j’ai utilisé les mots pour défendre deux grandes causes : la condition humaine, mais surtout les droits des femmes et l’expression artistique de toutes les disciplines. Si le choix de mes parents m’a amenée très jeune de la Belgique au Saguenay–Lac-Saint-Jean, cette région est devenue le choix de mon cœur et lieu de ma vie. J’y ai fait carrière en journalisme pour le Progrès du Saguenay pendant 38 ans. J’y ai écrit et publié une dizaine de livres. Par la suite, ne sachant pas le sens du mot retraite, j’ai continué, depuis 2009, à utiliser les mots pour défendre encore et toujours ces deux grandes causes. Ce qui aboutit, en toute logique, à me retrouver ici, ce soir, pour évoquer le drame de Golrockh Ebrahimi Iraee. Drame que subissent de nombreuses femmes écrivaines et journalistes de plusieurs pays. Mais avant d’aborder son drame, permettez-moi de lui offrir mon dernier livre, Cœur innombrable, cette parole de femme libre, qui n’aurait jamais pu publier ce livre dans le pays de Goldrockh.
Golrockh Ebrahimi Iraee, j’ose résumer ton drame.
Accusée d’avoir porté atteinte aux valeurs sacrées de l’Islam, notamment pour la rédaction d’un livre de fiction non publié, inspiré d’un fait réel relaté par le film américain La lapidation de Soraya M, te voilà condamnée à six ans de prison.
Défenseur des droits humains comme toi, ton compagnon Arash Sadeghi, lui-même condamné à 15 ans de prison, a voulu te défendre en s’imposant une grève de la faim de 72 jours, afin d’attirer sur toi le regard du monde libre. Tu as cru, un bref moment, retrouver ta liberté au prix de sa santé gravement compromise. Une liberté provisoire en attendant que la Cour Suprême puisse réviser les motifs de ton emprisonnement. Promesse bafouée 19 jours après la fin de sa grève de la faim. En effet, le 22 janvier 2017, tu étais de nouveau arrêtée et enfermée dans la prison d’Evine de Téhéran. Tandis que tu te consumes derrière les barreaux, ta peine et celle d’Arash attendent que la 33e Chambre de la Cour Suprême réexamine leur bien fondé. Sachant pourtant que les «pasdarans», ou gardes de la révolution, empêchent le transfert des documents essentiels à cet examen. En janvier dernier, ce sont ces mêmes pasdarans, qui avaient bloqué le transfert de ton compagnon à l’hôpital, forçant ton retour en prison.
Chère Golrockh,
Au-delà de la distance, malgré les silences et l’isolement, ton nom ne m’est plus étranger. Comme écrivaine, comme journaliste préoccupée par les droits des humains, je ne peux être indifférente à ton sort tragique, ni au bafouement de tes droits. Le droit à la liberté, liberté de parole, liberté d’écrire, liberté de revendiquer le respect de la valeur sacrée de la vie, liberté de dire que la lapidation est une insulte à l’humanité.
Je me sens impuissante devant les lourdes portes de ta prison. Révoltée de te savoir muselée, isolée de ta famille, de tes amis, privée de tes droits, même celui de te défendre. Impuissante, mais pas désarmée, car la vigilance de nombreuses personnes préoccupées par ton sort a transmis l’appel courageux de ton époux ainsi que le tien. Et j’entends ta voix. Cette voix bouleversante qui évoque les interminables heures d’interrogatoire, les yeux bandés, interrogée et menacée sous prétexte d’insulte à l’islam, tandis que dans la cellule voisine tu perçois les coups et la torture infligés à ton mari. Tu lui as écrit : «Ton combat est admirable, mon très cher Arash. Je t’en prie, reste en vie, car je chéris ta vie si précieuse bien plus que ma propre liberté.»
Le 8 juillet dernier, forte d’un esprit combatif qui refuse de se résigner, tu cosignais, avec Atena Daemi une lettre ouverte adressée aux ambassadeurs de 45 pays pour dénoncer les conditions inhumaines dans la prison d’Evine. Le 22 août, avec deux autres prisonnières, tu poursuivais ta lutte afin de soutenir les prisonniers politiques de Gohardacht au 20e jour d’une grève de la faim. Cette grève de la faim est devenue «le seul moyen pour les prisonniers d’exiger justice», précises-tu. Ajoutant, de concert avec tes sœurs de combat :
«Votre silence et votre inaction finiront par devenir une couverture politique pour les violations continues et généralisées des droits humains en Iran.»
Et moi, géographiquement si loin de toi et pourtant si proche à t’entendre, je te le dis, Golrocks Ebrahimi Iraee, je veux parler, je veux agir, refusant que mon silence et mon inaction cautionnent l’horrible tragédie que tu vis, toi et les tiens, ces femmes et ces hommes qui luttent pour la valeur sacrée des droits humains.
Ce soir, je suis ta voix. Je porte ta parole qui réclame, avec raison, le droit de vivre libre.
Christiane Laforge