Frénésie était le thème du concours de nouvelles 2015 du Prix littéraire Damase-Potvin qu’a remporté Marie-Andrée Gill, dans la catégorie professionnelle, nouvelle catégorie rendue possible cette année-là grâce à la collaboration du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean et du Conseil des arts de Saguenay. C’est l’auteure Mylène Bouchard qui assurait la présidence d’honneur de cette 20e édition. Nous pensons que vous aurez plaisir à lire La ronde, voire à le relire, et que peut-être il vous incitera à participer à une prochaine édition.
Bonne lecture!
1er prix — catégorie Professionnelle du Prix littéraire Damase-Potvin 2015
Thème : Frénésie
La ronde
par Marie-Andrée Gill
Quand je me prépare à partir pour La Ronde avec mes enfants je suis malade de brosse parce que c’est inévitable l’été quand tu travailles dans un bar où les gars sont beaux rares avec leur face de loup cervier et qu’ils ont pas de place à coucher et que les filles sont voyageuses pis en vodka quand elles décident que tu seras leur premier french au sirop d’érable tu ramènes ce beau monde chez vous pis le lendemain y’a des enfants qui leur sautent dessus en criant t’es qui tu veux tu jouer avec moi pendant que maman vit sa vie d’adulte avant de se lever les cheveux en nid d’oiseau effiloché avec plein de sable sur son lit de s’être baigné à pas d’heure.
(C’est vrai on s’est baignés)
Quand je me prépare à partir pour La Ronde je me réveille à côté de deux filles toutes nues poilues j’aime ça pis j’aime pas ça c’est niaiseux mais bon moi le poil ça pas de bon sens j’ai cinq heures de route à faire let’s go dans le char les enfants se peuvent plus ils capotent La Ronde La Ronde on va dormir dans un hôtel pis on va pouvoir prendre un ascenseur pis là ça se tiraille déjà à savoir qui va peser sur le piton de l’étage qui mettra la carte dans la fente qui débarrera la porte ça me demande si on va être haut pis si on va voir le stade olympique le smog pis les itinérants on pourra tu leur donner deux piasses ?
(Sont fins)
Dehors le soleil brille de toute son orangeade pis je roule la vitre baissée un deux litres d’eau minérale entre les cuisses pis j’ai oublié de me laver genre qu’on se saucera quelque part en montant dans une rivière qui aura un beau nom.
Je regarde dans le rétroviseur en riant dans ma barbe les flos jouent à celui qui dit la phrase tu pues du cul le plus vite possible
(Maudit YouTube qui les élève croche)
J’arrête dans deux tim hortons de route pour pogner un peu d’internet et demander à ma soeur sur messenger si elle a pas deux-trois cents piasses à me virer dans mon compte parce que j’allume que l’allocation du vingt rentre juste demain oui elle dit oui comme d’habitude je dis merci avec une rangée de x et je souris parce que partir sur une ride de char ça me rend toujours pleine de lumière et me donne envie de chanter des tounes de Céline et de la bottine souriante.
(Trop exaltée la fille)
Bon y’en a un qui a mal au cœur ça tombe bien on passe devant la sortie du village de ma tante pis mon oncle ils ont tout le temps un remède vite fait pis une sandwich aux tomates qui attend qu’on lui révèle son destin.
On arrive dans la cour ils sont en train de se faire griller tous les deux sur leurs chaises longues à côté du tracteur sont tellement surpris de nous voir qu’ils ont les larmes aux yeux pis ils veulent nous donner leur chemise pis leur frigidaire tiens prenez des chips au ketchup des crottes de fromage de la liqueur noire une tasse de quik pis toute pis toute sont tellement beaux pis avenants moi aussi j’ai les larmes aux yeux ça me fait ça être lendemain de brosse je deviens full sentimentale pis j’aime presque ça j’me sens proche de l’univers j’ai comme envie de pleumer le ciel pis le manger cru chercher des trèfles à quatre feuilles dans mon cœur ou fendre du bois avec une épée laser.
Je le savais en arrivant qu’on pourrait pas repartir de même fallait que ma tante me fasse sa poésie écoute c’est beau:
«Moi quand j’tais jeune, j’t’ais corbeau. Comme toé Julie.
Les cheveux noir-noir, la peau ben noire. Même si chu blanche dans le fond tout le monde pensait que j’tais une indienne avec mes yeux de chinoise. Ma mère trouvait que j’avais du Tremblay dans le nez pis de la raideur du cheveu du bord des Girard.
J’ai pogné ma face à loterie du Bon Yeu !»
Mon oncle fait un tour de tracteur à gazon aux jumeaux chacun leur tour sur l’arc-en-ciel de l’arrosoir si tu les voyais le sourire large de même c’est parfait.
J’ai une méchante envie de dormir sur la pelouse en repensant au tatouage le plus quétaine du monde connu qu’une des filles avait sur la chute des reins à matin pis ça m’excite un peu quand même mais je rote mes vieux timbits qui passent croches ça fait que je me lève pis je vais me sacrer dans le cric en bobettes.
Mon oncle ma tante les jumeaux.
Tout le monde rit.
Avec leur face de soleil dans face.
Avec leur face de mois d’août pis de crème soda. Leur face de plénitude.
Je suis heureuse en tabarouette.
Même si j’ai une sangsue sur le pied.
La Ronde c’est icitte.
Marie-Andrée Gill
Outre le site Web du Prix littéraire Damase-Potvin (www.damase-potvin.com) dans lequel on retrouve la nouvelle, ce texte a inspiré une vingtaine de photographes du Club photo de Chicoutimi, dont les photos ont inspiré à leur tour une vingtaine d’auteurs membres de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie (APES), proposant ainsi l’exposition itinérante Une photo/200 mots.
Cette exposition a d’ailleurs circulé dans divers lieux sur le territoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean du 8 décembre 2016 au 27 janvier 2018. Elle sera à la Maison de la littérature à Québec du 1er mai au 18 juin 2018.